Nasser, l’homme qui a offert Messi au PSG

Qui se cache vraiment derrière le patron du PSG qui vient d’offrir au PSG le meilleur joueur du monde en activité ? Pour dépasser les clichés et les a priori, le magazine France Football est allé le rencontrer, au Qatar, et lui a consacré ce long portrait sur l’une de ses facettes peu connue ..

L’histoire s’écrirait donc à partir d’ici. Devant et derrière ce muret innocent et décati, planté à une grosse centaine de mètres des bords de la baie du golfe Persique, au nord-est de Doha. Et cachant mal désormais une vaste étendue aride – promise à un future complexe hôtelier – encombrée de-ci de-là de quelques amas de ferraille les et de pierres, vestiges d’un passé impossible à percer. Seul un écriteau qui a résisté au vent de sable et au temps fournit une esquisse d’indice sur la portée symbolique de cette ligne de démarcation. « Tennis et fitness », peut-on encore lire, sous-titrage inclus. C’est là, pas très loin du port, que gamin, Nasser al- Khelaifi passait beaucoup de temps, devant cette enceinte du Tennis Club Al-Arabi de Doha. Il habitait juste de l’autre côté de la route toute sa famille élargie (oncles, tantes et cousins) dans ce quartier, « colonisé » depuis longtemps par son grand-père paternel Abdallah, arrivé du nord du Qatar. Sans se douter que son destin basculerait quelques années plus tard sur les courts en green set, à l’occasion d’une rencontre le futur émir, en 1992, qui venait y taper la balle jaune.

Pour l’heure, avec ses copains, le petit Nasser, quand il ne joue pas au foot sur le terrain vague voisin, effectue ses maraudes pour récupérer les balles de tennis égarées des deux courts, les seuls du Qatar à l’époque. Et s’adonne à des parties de chamboule-tout aux règles évasives. Il convient d’abord de faire tomber des piles de cailloux avant de se canarder. Avec les balles de tennis, pas les pierres.

Les nuits blanches du paternel 

À ce moment-là, l’ultra-puissant « NAK » n’existe pas. C’était plutôt l’ultra-docile. Il mène une vie ordinaire de fils de pêcheur au sein de ce « diar » (grande maison) familial regroupant tout le clan Al-Khelaifi. Le patriarche, c’est le grand-père paternel, Abdallah. Un pêcheur de perles qui commande la flotte de Doha et fixe notamment les dates des sorties en mer. Un privilège qui établit le statut. Il part trois-quatre mois en bateau. Et, à son retour, vend, plutôt bien, son butin aux marchands, la plupart étrangers. Une routine huilée avant que les Japonais ne chamboulent la donne et ne fassent chuter les cours dans les années 1970 en inondant le marché de perles de culture. Les Al-Khelaïfi s’adaptent et, tradition oblige pour ce peuple de la mer qui se distingue des Bédouins tournés vers la terre, optent totalement pour le poisson.

Le père, Ghanem, en premier. Agé désormais de 80 ans, le paternel, tout comme le reste de la famille Al-Khelaïfi, a abandonné le quartier en face de l’ancien Tennis Club de Doha (où les bâtisses d’origine accueillent désormais un restaurant, un musée de la famille où l’on peut apercevoir les tenus d’apparat du grand-père et des extraits de sa prose, ainsi qu’une épicerie vintage commercialisant uniquement des répliques de produits des années 1970) pour un quartier plus cossu de Doha.

C’est là qu’il nous reçoit, installé dans un fauteuil qui trône au cœur de ce « majlis », un vaste salon de réception surplombé d’un écran géant, diffusant ce jour-là une compétition de ski. Le bonhomme, qui vient discrètement d’écraser sa clope pour échapper aux remontrances de ses fils protecteurs, porte beau et fier en dépit de sa frêle apparence. De sa voix rauque, celui qui, généralement, évite la lumière et les sorties en dehors du cercle des familiers fait exception pour raconter derrière son masque et ses yeux malicieux sa « fierté », le fiston. Un accès rare autorisé par « NAK », pourtant d’ordinaire très peu porté sur ces étalages intimes autant par culture orientale que par pudeur atavique : « C’était un enfant très tranquille, pas du tout turbulent, raconte sur un ton très hagiographique le paternel. Il passait ses journées entre l’école et le tennis, qui était sa passion. Il ne faisait jamais de vagues. Pendant que le patriarche fait l’éloge, Khaled, l’un des cinq frères et sœur de Nasser al- Khelaïfi, repositionne son turban, replace son masque et le couve sans cesse d’un regard attendri, le même que celui que pose « NAK » sur son père, auquel il voue une admiration et une affection touchantes. Et pas seulement parce que le paternel veille jusque très tard, parfois, pour suivre les matches du PSG. « Avec les décalages horaires et les prolongations, je fais même parfois des nuits blanches », s’encanaille Ghanem al-Khelaïfi. Qui ajoute : « Je regarde aussi les féminines. »

Perdu en pleine mer, « NAK » apprend à nager au bout d’une corde

Pourtant, tout aurait pu mal tourner. Très tôt. Alors qu’il avait 4-5 ans, le petit Nasser embarque avec son père, deux de ses frères et quelques oncles sur le bateau familial pour ce qui devait être une sortie tranquille en mer d’une journée. Une corde qui s’emmêle autour de l’hélice du moteur, une mer qui se démonte empêchant toute intervention, et c’est la cata. Les voilà tous bloqués loin des côtes. Et sans assistance possible à l’horizon. Vite à cours de victuailles, les naufragés s’organisent. Plongent pour rapporter des poissons. Nasser, qui ne sait pas encore nager, est autorisé à effectuer quelques sorties pour se dégourdir les jambes dans l’eau au bout d’une corde. Les Robinson resteront coincés trois jours avant d’être secourus par un bateau qui passait par là.

« Je me souviens encore du moment où je l’ai vu arriver dans la brume, raconte « NAK je crois que ça reste le plus beau jour de ma vie car je croyais qu’on n’allait pas s’en sortir. « Sur les rivages, la maman non plus n’y croyait plus trop. Sans nouvelles de ses hommes, elle tentait chaque jour d’apercevoir un signe de vie, elle qui portait déjà le deuil d’une partie de la famille et s’était déjà revêtue de noir. « Moi, je n’ai pas eu peur car la mer, c’était mon boulot et mon univers, assure, bravache, le paternel, qui ne partait jamais plus longtemps qu’une semaine. Les enfants, je ne sais pas… La pêche, parfois, ça pouvait être un peu dur. Il y avait des hauts et des bas en fonction de ce que la mer nous donnait. Mais on s’en sortait toujours. Par la suite, Nasser est encore retourné en mer avec moi pour des sorties parfois de deux ou trois jours. Il aimait bien ça… » J’adorais, confirme l’intéressé. Je suis un homme de la mer. Elle m’apaise. Plus jeune, je pouvais passer des heures à la regarder. Ça me calmait. Ça m’arrive d’ailleurs encore parfois. »

Le temps de l’évocation de l’épisode, les regards trahissent une tendre complicité commune. « C’est normal, justifie Khaled, qui gère sept restaurants à Doha et se définit comme le quasi jumeau (ils ont un an d’écart) de Nasser. Quand mon « frérot » est ici, au Qatar, il relâche un peu la pression, même s’il se l’est toujours mise. »

Et assez tôt Nasser se pique de tennis à force de ramasser les balles et d’observer en douce les privilégiés qui foulaient le court en face de la maison. Aussi, lorsqu’un jour un coach américain, Mike Ries, propose aux gosses des environs de venir tâter soit du tennis, soit du squash, « NAK » accourt, avec Khaled et ses cousins, équipé de ses godasses de foot qu’il n’a pas eu le temps de lâcher. Tout de suite, le gamin de 11 ans s’entiche de la discipline. « Quand il rentrait de l’école, il passait devant les courts, raconte son père. Il s’arrêtait pour regarder les gens jouer au tennis. Il en était presque fasciné. Davantage que par le foot? « Il aimait bien y jouer là-bas, explique Khaled en montrant un grand espace, situé à proximité de l’ancienne bâtisse familiale, devenu un parking. Mais j’étais meilleur que lui. Quand ça allait, je le laissais aller devant, mais, quand il m’agaçait, je lui demandais d’aller en défense, voire dans le but. Il ne me disait jamais non. »

À l’époque, l’actuel président du Paris SG, quand il s’imaginait un destin XXL, le rêvait surtout autour d’un court de tennis. « Quand il était petit, ses rêves et ambitions n’avaient pas de limites, raconte le paternel. Surtout pour le tennis. Il voulait être un champion. Et si Khaled s’entraînait une fois par jour, Nasser s’entraînait deux, voire trois fois. » Khaled, dilettante assumé, confirme entre deux rires : « Ses ambitions, c’était vraiment le tennis. Moi, j’en avais d’autres, différentes sur le moment »  

Chassé de sa chambre par des cafards

« NAK » s’y adonne comme un forcené, en devenant même le premier joueur pro du Qatar. Il profite d’une bourse de la Fédération pour payer une partie de ses déplacements sur le circuit afin de se lancer dans une carrière. Le reste, il le finance au début en travaillant comme contrôleur au service d’urbanisme de la ville de Doha. Comme tous les aspirants à la gloire, il arpente les petits tournois. Pour se faire les dents et une réputation. Notamment l’été, dans le sud de la France, du côté de Nice, où il s’entraîne avec André Masse, puis avec le célèbre coach Patrick Mouratoglou.

Avec trois ou quatre partenaires, ils louent régulièrement une villa et écument les tournois estivaux de la région. Sultan al-Alawi, de quatre ans son cadet et qui joue encore en vétérans, se souvient de son ex-partenaire en équipe nationale : « C’était à la fois le grand frère, le cerveau, l’exemple et le guide de la bande. Le cuisinier aussi, mais ce n’est pas là où il était le meilleur, même si ses pâtes aux fruits de mer ont fini par être délicieuses. C’est lui qui en voulait le plus. Combien de fois je l’ai croisé au petit matin: je rentrais et lui partait s’entraîner ou faire un footing… »

Fan de Stefan Edberg, il s’engage dans les petits tournois Future avec son service-volée, son élégance et sa hargne. « Je l’ai même vu jouer une fois avec une cheville grosse comme un petit ballon à la suite d’une entorse, se souvient Sultan al-Alawi. Il refusait d’abandonner car on était à trois points de se qualifier pour un tournoi aux États-Unis. Mais il a dû finir par poser la raquette… » Lui qui n’a jamais dépassé le 995e rang mondial et amassé « que » 16201 $ (13770 euro) de gains au cours de sa carrière galère avec une application et un entêtement irréprochable. Comme lors de ce tournoi Satellite en Belgique, avant lequel il dormira à côté de sa voiture, dans un parc voisin, afin d’être prêt tôt le matin, à l’heure de son premier match. Nasser al-Khelaïfi se souvient aussi de cette nuitée avant un tournoi, à Toulon en 1998. Une colonie de cafards l’oblige à quitter sa chambre pour finir sa nuit sur le siège de la voiture. Il y gagnera un torticolis et une élimination matinale. Même pas mal. L’apprenti joueur de tennis insiste. « S’il gagnait son premier tour, il prenait une nuit d’hôtel, sinon il lui arrivait de dormir dans la voiture pour enchainer avec un autre tournoi, explique Khaled. Il avait pourtant les moyens, mais il voulait épargner pour tenir toute la saison. Ça lui a appris la valeur de l’argent. »

Évacué d’un court sous protection

Pendant plus de trois ans (1996-1999), il parcourt les tournois de seconde zone. Et parfois même les abords du stade Charles-Ehrmann, à Nice, comme en cette journée de juillet 1997. Sachant son acolyte Sultan al-Alawi fan de Michael Jackson, de passage dans la ville au moment du tournoi, fera le tour du stade où se produisait la pop star afin de dénicher un ticket pour son pote. En 1999, il passera par Paris et achètera sur les Champs-Élysées un tee-shirt du PSG que l’on retrouvera plus tard sur des photos.

L’acmé de cette période tennistique survient en 1997. Parti avec la sélection qatarienne disputer à Beyrouth un match de la Coupe arabe face au Liban, Nasser al-Khelaïfi tombe dans un mini traquenard. Lors du match de double, associé à son compère Al-Alawi, ses exhortations (pour une fois) bruyantes déplaisent au camp d’en face, supposé largement supérieur. Après plusieurs tentatives vaines, il se fait allumer dans le cou par un smash adverse. Sultan al-Alawi raconte la suite : « Je lui ai dit : « Ne t’inquiète pas. Je vais m’en occuper ! ». Nasser m’a répondu : « Non, non, Sultan. Ce n’est pas grave. » Mais, moi, je ne suis pas diplomate comme lui. Et, à la première occasion au filet, j’ai allumé à mon tour mon adversaire en le visant avec la balle en plein visage… Le problème, c’est que la raquette aussi est partie et l’a atteint. Soudain, on a vu arriver plein de supporters mécontents sur le court. Nasser était paniqué. On a été disqualifiés et évacués sous protection. C’est dommage car on n’était menés que 5-4 dans le premier set et on résistait bien… »

  Hussein Badreddine, l’un des joueurs de l’équipe libanaise qui lui collera un 6-0, 6-3 en simple, n’a pas gardé de trace de l’épisode : « Je ne me souviens plus trop de cet incident. En revanche, j’ai gardé en mémoire le côté très classe, hyper gentleman de Nasser, qui, en plus, avait une très bonne main au filet. »  Faute d’avoir accès aux tournois majeurs, « la très bonne main » restera cependant dans l’antichambre du très haut niveau et ne croisera que rarement les cadors, sauf au tournoi de Doha pour lequel il bénéficie d’une invitation. Il y fera la connaissance du joueur marocain Karim Alami, qui atteindra le 23 rang mondial en 2000. « J’aimais son côté bagarreur, explique celui qui s’occupe désormais du tournoi de Doha et bosse pour la fédé de tennis qatarienne. Sur un terrain, il n’a peur de rien et ne lâche rien. Il aime quand c’est dur. Je me souviens d’une fois où je l’ai battu, en tournoi exhibition. Il m’en parle encore parce que, ce jour-là, j’avais des chaussures trop serrées qui m’empêchaient de mettre des lacets. Il n’a toujours pas digéré car il me redit souvent : « Karim, tu m’as battu sans lacets… » 

Le Marocain fait partie de sa garde rapprochée au Qatar, et pas seulement parce qu’ils jouent au padel plusieurs fois par semaine (et avec l’émir, de temps en temps). « Je ne sais pas pourquoi, mais ça a tout de suite collé entre nous, poursuit Alami. Je le voyais se démener pour des matches à 500 euros la victoire, je savais qu’il ne venait pas pour l’argent, mais pour progresser et s’endurcir. Cette période l’a forgé. Il a de la « gamelle » (sic !). Le tennis lui a façonné et lui a aussi changé la vie. Cette résistance aux efforts, ça doit forcément un peu l’aider en ce moment avec toutes ces casquettes qui auraient pu lui faire péter un plomb. Moi qui l’ai connu quand il n’était « rien », suis admiratif de l’avoir vu évoluer depuis sans jamais se prendre pour un autre. Mais, attention, le gentil sait aussi être un requin. Et pas que sur les courts. »

La boulette de François Hollande

En 2001, il doit prendre ce qu’il considère jusqu’à présent comme la décision la plus difficile de sa vie. Il stoppe sa carrière afin de commencer à intégrer les instances dirigeantes de la Fédération de tennis en même temps que celles d’Al Jazeera. La fin d’une certaine insouciance. Et, accessoirement, le début d’une ascension vertigineuse pour un homme qui n’a pas de sang noble mais des appuis qui comptent. Surtout un. Une proximité qu’il protège, comme un tabou. Comme un trésor, aussi, sans doute. C’est Mike Ries, son coach américain de l’époque, qui a joué les entremetteurs: En 1987, l’ambassadeur américain m’avait demandé de fournir un encadrement de tennis à l’héritier, le cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani. Lequel m’avait interrogé un jour, après un match, sur les autres membres de son âge au club. Je lui avais parlé de Nasser, qui avait six ans de plus et terminé troisième d’une compétition. » Les deux sympathiseront sur un court après le tournoi de Doha, avant d’étendre cette relation en équipe nationale et même au-delà, notamment lorsque l’héritier accédera au trône, en 2013. Forcément reconnaissant de cette mise en relation autant que de son initiation au tennis, « NAK » tentera de retrouver la trace de son coach, retourné aux Etats-Unis en 1988. En vain…jusqu’à ce qu’il fasse appel à un détective privé qui le localisera à Chicago et permettra des retrouvailles en 2017 lors du tournoi de Doha au cours duquel l’ancien élève fera remettre un trophée à son mentor par Andy Murray, après un discours empli d’émotion des deux côtés.

Car le président du PSG est un émotif suractif qui se contrôle. Sans discontinuer. Et qui n’accorde sa confiance qu’à quelques-uns. Comme Abdou, son factotum égyptien qui le suit partout depuis trente ans. Le fidèle sherpa, qui possède la particularité de se glisser sur chacun des clichés de célébration du PSG, fouille dans ses nombreux souvenirs et tord le devoir de réserve pour ressortir une pépite. Ce sera ce jour de finale de Coupe de France où, avant le match, le président de la république François Hollande l’a pris pour un haut dignitaire qatarien, du fait de sa proximité avec Nasser, et entouré de déférences qui font encore se gondoler Abdou. 

Le président de la RD Congo, Fabio Quartararo et Tom Brady

Doté d’un statut de ministre hors cadre, « NAK », au patriotisme très US, n’est pas toujours très à l’aise avec l’étiquette et les privilèges. Durant les quelques jours passés au Qatar pour interroger ses proches, il aura, par exemple, rencontré Fabio Quartararo, de passage au Grand Prix GP de Doha, ainsi que le Premier ministre du Qatar, Khaled ben Khalifa al-Thani, et le ministre des Sports, Salah bin Ghanem al-Ali, qui ont tenté de lui faire remettre le trophée au vainqueur de la course. En vain. « NAK » a poliment décliné. Trop de respect des étiquettes pour perturber les rangs. En quatre jours, il croisera également le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, le joueur de foot US, Tom Brady, ou le président de la Fédération internationale automobile, Jean Todt. Et sera passé de son bureau à la Fédération de tennis à ceux de QSI et de BeIn, entre des convocations récurrentes au palais pour y voir l’émir. « Le vrai Nasser, c’est celui qui sert tout le monde à table avant de commencer à manger, explique Hakim Chalabi, le patron d’Aspire, l’hôpital du sport ultrasophistiqué de Doha et proche de « NAK » depuis 2008. C’est celui qui téléphone à n’importe quelle heure juste pour te demander comment ça va, celui qui prend le temps de la réflexion, comme souvent les orientaux. Ceux qui le prennent pour un mou se trompent. C’est juste un ultra-pudique que j’ai vu une fois totalement abattu, lors du décès de sa maman. Très attaché à Gharissa, au point de lui téléphoner tous les jours, notamment après chaque match, il aura tout tenté pour essayer de la sauver d’une longue maladie qui l’emportera en 2019.

De ça, comme tout ce qui touche à l’intime et à sa sphère très privée, Nasser al-Khelaïfi ne parle jamais. Entre deux bouchées de balalit (des nouilles sucrées), son plat préféré, il se raconte tout en pudeur, par petites touches pour confirmer ou infirmer les récits de ses proches, lui qui a une mémoire très précise. « Nasser, c’est l’ambassadeur numéro l du Qatar, s’emballe Ali al-Fardan, l’ancien président de la fédé de tennis et puissant businessman, qui n’a pu s’empêcher de nous raconter en arrivant à notre rendez-vous qu’il vient de se faire construire un palais très ressemblant au château de Versailles. II est celui qui a fait connaître notre petit pays dans le monde entier. Et pour ça, ici, tout le monde le vénère. » En toute discrétion cependant, car le Qatarien n’est pas très démonstratif ni expansif. Et vient tout juste quémander parfois un timide selfie. « Au Qatar, il sait qu’il est partout en terrain ami, il laisse donc un peu tomber l’armure, explique Tarek Bouhafa, l’un de ses plus fidèles copains. Notamment lorsque l’on rejoint « El mazraa ». 

Seuls les initiés y ont droit. Situé à une heure de 4×4, dans les dunes éloignées de Doha, c’est le repaire des copains. Il s’y rend au coucher du soleil (pour éviter les chaleurs) et en revient vers minuit. Autour d’un feu de camp d’un capsa d’agneau, il se lâche et relâche la pression. Avant de parfois enchaîner avec une partie de volley, pas très loin des carrés de menthe et de roquette sauvage, mais à distance des chèvres et dindons qui complètent cette atmosphère d’oasis. « Quand il est là-bas, on est avec le vrai Nasser, raconte le frangin Khaled. On est avec le chambreur, celui qui adore raconter des blagues. Celui aussi qui garde pratiquement tout pour lui. Car il ne parle jamais de ses jobs. Depuis qu’il est dans le foot, il est devenu encore plus sérieux. J’admire son calme car je ne sais pas comment il encaisse tout ça. Moi, j’ai déjà cassé des téléviseurs, des portables, à cause des matches du PSG. Lui, il reste tranquille et gentil. Démesurément gentil. Même quand on lui fait mal. Je ne sais pas comment il fait. Mais il a sans doute raison. » Avant de prendre congé, Ghanem al-Khelaïfi opine discrètement : « Je pensais que Dieu en donnerait pour tous mes enfants. Mais Nasser a été bien servi. » 

Par Pascal Ferret, France Football

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